Regards sur les musiques mixtes

Introduction

Ce volume rassemble des éclairages variés sur un aspect des musiques électroacoustiques, qu'on nomme désormais musiques mixtes. Comme on le constate dans ces pages, définir ce que sont les musiques mixtes est un défi. Longtemps considérée comme la juxtaposition d'une partie instrumentale ou vocale avec une bande magnétique contenant des matériaux produits en studio, l'évolution rapide des technologies et l'invention de nouvelles techniques a bouleversé cette définition. En effet, les technologies permettant l'exécution en temps réel de sons électroniques et de transformations électroacoustiques n'ont véritablement pris leur essor qu'avec l'arrivée d'une informatique offrant des calculs très rapides. Il fallait à ces machines des logiciels adaptés au travail musical en direct et capables de s'associer au jeu instrumental à l'instar d'un interprète artificiel.

La question de la survie des œuvres a été traitée dans un volume de cette collection – Préserver. Archiver. Re-produire. Nous n'y revenons pas, mais la préface d'Evelyne Gayou dans cet ouvrage est éclairante sur les problèmes liés à l'obsolescence qui ont conduit à faire disparaître des pans entiers du répertoire électroacoustique, les musiques mixtes étant les premières atteintes. Au delà des questions de préservation et de restauration, qui occupent tant l'Institut national de l'audiovisuel – Ina –, il faut aussi comprendre comment fonctionne la relation entre l'instrument et les matériaux artificiels – pour reprendre un terme qui désigne les sons électroacoustiques en général, qu'ils soient produits par synthèse ou par le travail sur des sons recueillis. Puisque Karlheinz Stockhausen s'est préoccupé de la musique mixte de manière souvent innovante, deux articles sont consacrés à différentes phases de sa production : John Dack, fin connaisseur des œuvres historiques de la musique électroacoustique, se penche sur l'œuvre pour piano, percussion et bande multipiste de 1960, Kontakte. Brice Tissier entreprend de traiter des musiques mixtes qui émaillent l'opéra titanesque de ce compositeur, KLANG.

Il revenait à ce volume de rendre hommage à la mémoire de Pierre Boulez avec l'évocation d'une œuvre encore peu analysée : c'est ce que fait Ai Higashikawa en parlant des interactions entre le « réel » et le « virtuel » dans Poésie pour pouvoir, une œuvre de 1958. Cet article est le fruit d'études menées dans les archives de la Fondation Paul Sacher de Bâle.

Mais, au fond, que recouvre cette expression de « musiques mixtes » ? C'est à cette question que répond Daniel Teruggi, lorsqu'il dresse une taxonomie des pratiques mises en œuvre dans ce champ diversifié. En fournissant des classifications, Teruggi éclaire les approches multiples et donne des cadres utiles pour comprendre comment les compositeurs approchent ce domaine composite.

Il convenait de prendre en considération les productions électroacoustiques en provenance d'Asie orientale. C'est à cette tâche que s'attelle Lin-Ni Liao en traitant d'une œuvre de la compositrice de Taiwan Lin Mei-Fang, Multiplication virtuelle. Dans son article, elle met en lumière le rôle de la culture chinoise, comme le Livre des Mutations - Yi King, dans la conception d'œuvres contemporaines. Cet article permet aussi de citer la production féminine en musique électroacoustique, car c'est là un point qui doit nécessairement être développé plus largement dans les écrits musicologiques. La question de l'interculturalité est aussi abordée par Marc Battier au travers du concept d'extension, si présent dans les musiques mixtes depuis leur origine et qui joue un rôle important dans l'intégration des instruments traditionnels – de l'Asie, en l'occurrence. La notion d'extension revient dans l'article de Philippe Lalitte puisqu'il questionne la place du quatuor à cordes dans un environnement électronique, à partir d'un vaste répertoire, mais en se penchant plus particulièrement sur des œuvres de George Crumb, Marco Stroppa, Kaija Saariaho, Steve Reich et Roger Reynolds. Bruno Bossis livre une analyse très détaillée d'une œuvre de musique de chambre avec voix de Gilbert Amy, Une saison en enfer, basée sur le poème de Rimbaud avec une partie électroacoustique réalisée à l'INA-GRM avec l'assistance de Yann Geslin.

Pour achever cette partie analytique et historique de l'ouvrage, Laura Zattra traite de problèmes rencontrés par la musicologie lorsqu'il s'agit d'examiner des œuvres informatiques et, plus généralement, électroacoustiques mixtes. Les écritures des musiques mixtes et le problème des sources documentaires peuvent pourtant trouver des solutions, afin de permettre une analyse génétique. De plus, le préservation des œuvres passe aussi par celle des sources, comme le montre l'auteur. Suivent des articles qui donnent au lecteur une vue de l'activité créatrice de compositeurs et interprètes liés à l'INA-GRM. Daniel Teruggi évoque les aspects de la composition qui revêtent pour lui une grande importance : c'est un regard rare en ce qu'il partage dans cet article ses stratégies de création. Gilles Racot, dans la même veine, décrit minutieusement ses modes de travail lorsqu'il compose des musiques mixtes. Il nous conduit dans son atelier de composition, son « laboratoire » comme le disait Apollinaire.

La musique mixte au GRM est commentée par trois auteurs qui, ensemble, formèrent le Trio GRM+. Chacun d'entre eux fournit un témoignage sur sa propre expérience, que Yann Geslin prolonge en commentant les œuvres saillantes du groupe et analysant le parcours de cette expérience de musique mixte au sein d'une structure elle-même en évolution.

Pour achever ce volume, Pierre Couprie aborde la prospective en évoquant le rôle des humanités numériques en ce qu'elles apportent un appareillage conceptuel et logiciel permettant d'entourer l'œuvre, tant dans la préservation que pour l'analyse. Elles sont incarnées dans la notion de workflow, dont l'auteur rappelle qu'il s'agit d'un éventail de tâches permises par le numérique. L'article est émaillé d'exemples récents de représentation d'œuvres électroacoustiques. Ces regards sur les musiques mixtes sont donc multiples, à l'image de la diversité des œuvres, des techniques et des approches pour les conserver, les connaître et les apprécier.

Il convient ici de remercier les personnes qui ont permis à cet ouvrage de voir le jour. La plupart des articles ont été rédigés à l'occasion d'un colloque qui s'est tenu en Sorbonne il y a plusieurs années : je voudrais louer la patience des auteurs, et leur disponibilité pour leur relecture. Une grand remerciement est aussi dû au directeur de la publication, Daniel Teruggi, pour son enthousiasme et son soutien indéfectible. Enfin, je voudrais adresser à la directrice de collection, Evelyne Gayou, un chaleureux remerciement pour son investissement passionné dans ce projet.

Marc Battier

 Sommaire

- Esquisse d’une taxonomie des musiques mixtes, par Daniel Teruggi

- La musique électroacoustique mixte : interactions entre le « réel » et le « virtuel », par John Dack

- Poésie pour pouvoir (1958) : l’origine de la « musique mixte » dans l’oeuvre de Pierre Boulez, par Aï Higashikawa

- Une Saison en enfer de Gilbert Amy : une lecture musicale d’Arthur Rimbaud, par Bruno Bossis

- Les dernières Heures de Stockhausen : processus et accidents dans les oeuvres mixtes de Klang, par Brice Tissier

- L’espace et le temps : une gestuelle traditionnelle de l’Extrême-Orient transcrite dans la contemporanéité de l’Extrême-Occident, par Lin Ni Liao

- La musique mixte comme extension de l’interculturalité, par Marc Battier

- Le Trio de synthétiseurs GRM Plus (TM+), par Yann Geslin

- Trio TM+ : premières explorations, par Denis Dufour

- Du Trio GRM+ à TM+, par Laurent Cuniot

- Le quatuor à cordes face à un environnement électronique, par Philippe Lalitte

- Une vision de ma création musicale, par Daniel Teruggi

- Une mise en oeuvre de la musique mixte, par Gilles Racot

- Les écritures des musiques informatiques mixtes à la lueur des sources documentaires, par Laura Zattra

- L’analyse de la musique mixte : vers une redéfinition des « workflows » en musicologie, par Pierre Couprie

Date de parution: 
01/2017
ISBN / ISSN: 
978-2-86938-244-2
Editeur(s): 
Paris, Institut national de l'audiovisuel
nombre de pages: 
248
Fait partie du programme de recherche: 

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