Analyse musicale et représentations sociales

mer 15 mar 2017 - jeu 16 mar 2017
9h-12h30 et 14h30-19h
Responsable(s) extérieur(s) à l'équipe:
Stéphane Escoubet (LLA-Créatis, Toulouse 2)
Lieu: 

Le 15 mars, à Paris-Sorbonne, 1 rue Victor Cousin, 75005, Paris, de 9 h à 19 h. 
Personnes extérieures à Paris-Sorbonne, donner au plus tard le 12 mars votre nom à Catherine Rudent (catherine.rudent@paris-sorbonne.fr) pour passer le contrôle d'identité à l'entrée du site.
Le 16 mars au Centre FGO-Barbara, 1 rue de Fleury, 75018, Paris, de 9 h à 19 h. Accès libre.
 

Programme: 

Quels sont les liens possibles entre étude des représentations sociales et analyse musicale ? Une telle question s’inscrit dans un cadre plus général, articulant matériau musical et logiques collectives. Sortant de l’alternative trop couramment présupposée entre analyse musicale « interne » et réflexion sociologique « extérieure » à la musique, il s’agit de montrer comment le social est à l’œuvre au cœur même des œuvres et productions sonores. Si la musique produit des effets forts dans les sociétés humaines, inversement, les musicien-ne-s, auditeurs et auditrices agissent, dans leur pratique musicale, en tant qu’acteurs sociaux - actrices sociales et individus socialisé-e-s.
Les représentations sociales sont une des clés d’entrée dans cette réflexion. En effet, informée par l’étude des représentations sociales, l’analyse musicale peut s’attacher à cerner ce que les caractéristiques musicales représentent, pour les musicien-ne-s et pour leurs publics.
Les représentations sociales ont été définies comme des « formes mentales socialisées » qui regroupent « des visions de l’espace et du temps », « des savoirs communs, des opinions », « un ensemble de contenus, de savoirs » « que nous partageons avec d’autres ». C’est pourquoi elles « touchent tous les aspects et tous les domaines de la vie sociale »  (Bonardi, Roussiau, 2014, 7 et 11). Les musicien-ne-s qui créent, qui jouent ou chantent, l’auditeur ou l’auditrice qui écoute, qui s’émeut, ne sont ainsi pas seulement engagé-e-s dans une pratique hautement individuelle et sensible. Ils et elles sont aussi, dans le même temps, tributaires de savoirs, de perceptions et de conceptions reçus et construits au sein de la société, à deux niveaux : à la fois micro- et macro-social. Ces savoirs et ces conceptions portent sur la nature et l’organisation des sons, sur leur effet et sur leur sens (Becker 1988, Frith, 1981).
Dès lors, l’analyse musicale, aussi bien dans son aspect descripteur des caractéristiques d’une œuvre musicale (Jan LaRue, 1992), que dans sa dimension interprétative (Meyer, 1989, 218-271, Brackett, 2000) peut s’appuyer sur les représentations sociales qui sous-tendent et organisent la musique étudiée, et s’enrichir de leur prise en compte. Divers travaux ont posé leur réflexion à cette croisée des deux démarches de connaissance, celle des caractéristiques et pratiques tant musicales que sociales. Seca (2001) peut apparaître comme un travail fondateur : dans son enquête portant sur des musiciens qu’il qualifie d’« underground », il considère que ceux-ci créent « en puisant dans un terreau, une mémoire » qui « n’est pas seulement un espace d’inspiration » mais aussi « une représentation sociale ou, en d’autres termes, un système hiérarchisé de croyances, de connaissances, d’attitudes, d’opinions, d’unités linguistiques et non verbales dont les sons et les rythmes forment la partie émergente et ‘palpable ‘ ». Plus récemment, quand Escoubet (2015) repère ce que disent Les Inrockuptibles de Divine Comedy, puis, dans un deuxième temps, le met en lien avec la musique des albums concernés, il restitue l’épaisseur et l’opacité de ce processus de représentation de la musique, mais en même temps sa logique. Jacopo Conti a pu mettre en évidence les stéréotypes musicaux représentant Paris, et par métonymie la France, dans les films issus d’Hollywood (accordéon, trois temps, rythmique jazz directement issue du Jazz Hot Club Quartet, ou couleurs modales et harmoniques « à la Debussy »). En musicologie toujours - et plus précisément en popular music studies -, ce sont les thèses de Guillaume Gilles (2012), qui examine comment la « sauvagerie » érigée en valeur fondatrice se trouve mise en son dans le rock’n’roll des fifties, de Guillaume Dupetit (liens entre funk et afro-futurisme), ou les travaux de Bérenger Hainaut, sur la saturation comme principe esthétique du black metal (Hainaut, 2016), et sa réflexion sur la représentation musicale du « fantastique sombre » par l’« harmonie des médiantes » (2012). Mark J. Butler (2006), propose lui aussi une analyse musicale rythmique étroitement rattachée aux représentations (cultural meanings) des acteurs d’electronic dance music en Indiana en 2001 et 2002.
Ces représentations sociales sont à la fois « prises en son », manifestes dans les productions sonores, mais aussi repérables sous forme verbale : « Les éléments affectifs, iconiques, musicaux, para-verbaux, forment des entités sémantiques figuratives qui font partie d’une représentation sociale et demeurent en forte liaison avec sa dimension linguistique (textes, croyances, connaissances). » (Seca, 2001, 97). De ce fait, le-la chercheur-se, qui les rencontre sous différentes formes congruentes (musicale, verbale, iconique), peut contrôler ses interprétations (voir aussi Tagg et Clarida, 2003), ou, pour reprendre le terme usuel dans ce contexte, étudier les « ancrages » de ces représentations. On peut ainsi enquêter sur les représentations sociales associées à une musique ou à une autre à travers des matériaux divers : celui des entretiens (Rudent, 2011), auquel peut s’ajouter un abondant corpus iconographique (Ravet, 2011, à propos du « sexe des instruments »), un corpus de presse (Grassy 2010, Hammou 2015, Escoubet 2015), mais aussi à travers de multiples autres supports, comme par exemple les notices techniques de boîtes d’effets (Hainaut 2016).
La réflexion sur cette relation, socialement construite, entre des organisations sonores et les significations symboliques qu’il est socialement convenu d’y entendre (au double sens de l’ouïe et de la compréhension), permet de nombreuses ouvertures musicologiques et sociologiques à la fois. Car c’est bien la question du sens, entendu toujours pour un groupe social et dans un espace-temps situé, qui est au centre des représentations socio-sonores. Parmi les pistes les plus défrichées à ce jour figurent les représentations musicales des styles et des genres. En effet, les représentations sociales contribuent à configurer styles et genres musicaux, qui sont, inversement, une de leurs mises en forme, puisque « un genre musical est une RS [représentation sociale]. » (Seca, 2001, 97). Parmi les autres directions exploitables, on peut mentionner les symbolisations genrées. Si ces deux premières directions seront à l’honneur lors de cette journée d’étude, celle-ci se veut aussi une ouverture vers d’autres possibilités, comme celle de la symbolisation d’une identité nationale ou culturelle ou de tout autre objet de représentations sociales : rebellions, idéaux politiques, identités religieuses...
 
Références bibliographiques
Christine Bonardi, Nicolas Roussiau, 2014 (1999), Les représentations sociales, Paris, Dunod.
Howard S. Becker, 1988, Les mondes de l’art, trad. Jeanne Bouniort, Paris, Flammarion (1982, Art Worlds, The University of California Press).
David Brackett, 2000 (1995) Interpreting Popular Music, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press.
Mark J. Butler, 2006, Unlocking the Groove. Rhythm, Meter, and Musical Design in Electronic Dance Music, Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press.
Jacopo Conti, 2013, « Che suono fa, la Francia ? […] », communication au colloque Poésie et chanson de la France à l'Europe, Fondation Natalino Sapegno, Morgex, 10-13 juillet.
Guillaume Dupetit, 2013, Afro-futurisme et effet miroir : les contre-récits de Parliament/Funkadelic, thèse (esthétique - musique, dir. Makis Solomos, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis).
Stéphane Escoubet, 2015, La légitimation d’une « pop indépendante » en France : The Divine Comedy d’après Les Inrockuptibles, thèse (musicologie, dir. Laurent Cugny, Université Paris-Sorbonne).
Simon Frith, 1981, Sound Effects. Youth, Leisure, and the Politics of Rock’n’Roll, New York, Random House.
Guillaume Gilles, 2012, Les représentations de la sauvagerie dans le rock’n’roll américain des années 1950. Entre mythes et réalités, thèse (musicologie, dir. Martin Laliberté, Université de Marne-la-Vallée).
Elsa Grassy, 2010, Le lieu musical : du texte à l’espace, un itinéraire sémantique. Poétique des catégories géographiques dans les musiques populaires américaines (1920-2007), thèse (études anglophones, dir. Madeleine Martinet, Université Paris-Sorbonne).
Bérenger Hainaut, à paraître en 2016, Le style black metal, Château-Gontier, Aedam Musicae.
Bérenger Hainaut, 2012, « ‘Fear and Wonder’. Le fantastique sombre et l’harmonie des médiantes, de Hollywood au black metal », Volume IX/2.
Karim Hammou, à paraître, « Prises et décrochages de genre : Diam’s, Booba et leur réception critique dans les années 2000 », actes du colloque « Gender in arts criticism », M. Buscatto, M. Leontsini et D. Naudier, IDHES et CSU-CRESPPA, 16-17 novembre 2015.
Jan LaRue, 1992, Guidelines for Style Analysis, Sterling Heights (Michigan), Harmony Park Press.
Leonard B. Meyer, 1989, Style and Music. Theory, History, and Ideology, Philadelphia, University of Pennsylvania Press.
Hyacinthe Ravet, 2011, Musiciennes. Enquête sur les femmes et la musique, Paris, Editions Autrement.
Catherine Rudent, 2011, L'album de chansons entre processus social et œuvre musicale. Juliette Gréco, Bruno Joubrel, Mademoiselle K, Paris, Honoré Champion.
Jean-Marie Seca, 2001, Les musiciens underground, Paris, Presses universitaires de France.
Philip Tagg and Bob Clarida, 2003, Ten Little Title Tunes. Towards a musicology of the mass media, New York and Montreal, The Mass Media Music Scholars’ Press.
 


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