La danse kagura dans le rituel shintoïste (Japon)

sous la direction de : 

1) Problématique

L’objectif de cette recherche est d’étudier l’effet sonore dans les rituels villageois au Japon, notamment les rituels shintoïstes.

De nombreuses recherches japonaises relatives au divertissement rituel n’appréhendent la musique dans la cérémonie que comme un simple accompagnement de la danse. Dans le cadre religieux, elle ne serait qu’un outil pour que le rituel puisse être efficace et ne pourrait pas être au centre de l’événement. Or, cette conception nous apparaît trop restrictive. La sonorité dans le rituel n’est pas seulement le son de l’instrument musical mais revêt une fonction et une signification beaucoup plus importantes que celles d’un simple accompagnement. Ce que nous nous attacherons à démontrer.

Nos recherchent s’appuieront sur le kagura 神楽et le rituel shintoïste.

Le shintoïsme est un concept inventé vers le VIIIe siècle dans un contexte de conflit politico-religieux en réaction au Bouddhisme et aux autres croyances d’origine étrangère. Depuis sa création, le shintoïsme coexistait avec les autres religions sans perdre son principe : animisme polythéiste d’origine chamanisme. Il connut un grand bouleversement au milieu du XIXe siècle lors de la construction du shintoïsme d’Etat.

Le terme kagura a été défini par la doctrine comme regroupant des coutumes traditionnelles populaires transmises uniquement par la voie orale. La notion, ainsi présentée, est large et, de fait, ne présente pas une caractéristique musicale. Le genre kagura nous semble artificiel et idéologique tant les études qui y sont consacrées ne permettent pas d’en dégager une systématisation. En effet, la plupart des travaux ethnologiques japonais qui y sont consacrés se limitent à une description très détaillée des cérémonies. Certes ces recherches sont très utiles, a fortiori qu’elles mettent en lumière les coutumes du peuple japonais. Mais elles sont aussi limitées dans la mesure où elles se limitent à l’analyse d’une pratique japonaise sans mise en perspective avec ce qui est pratiqué dans d’autres régions du Monde. Peut-être retrouve-t-on des éléments/pratiques rituelles similaires dans d’autres endroits du Globe et ceux-ci ne seraient pas le propre du japonais. Une approche comparative semble nécessaire afin de pouvoir analyser efficacement ces pratiques rituelles et déterminer leur véritable signification. Interpréter des pratiques japonaises sous un angle strictement japonais et à l’aune de seuls éléments culturels japonais est une approche beaucoup trop limitée pour donner des résultats véritablement fiables. La perspective comparative apparaît dès lors comme un élément essentiel de notre recherche.

Dans le même sens, les études proposées ne s’attachent qu’à la pratique d’une seule troupe ou d’une seule école. Là encore, les résultats obtenus ne seront pas fiables dès lors qu’ils n’auront pas été comparés avec la pratique d’autres troupes. Il est véritablement nécessaire d’élaborer une méthodologie d’analyse qui tienne compte du fait que les rituels peuvent varier d’un endroit à l’autre tant ceux-ci sont liés aux spécificités des communautés qui les mettent en œuvre.

C’est cette approche comparative qui permettra de dégager des traits communs, de systématiser et enfin, de proposer une véritable définition du genre musical kagura.

Partant, nos recherches tendront d’abord à dégager une vision d’ensemble des pratiques musicales dans les rituels villageois au Japon. Même si ces divertissements présentent des différences : style, genre musical etc..., il semble toutefois possible de dégager des points communs. Puis, sur cette base, nous mettrons nos résultats en perspective avec d’autres pratiques rituelles dans d’autres régions du Monde, ce qui nous permettra de donner une nouvelle explication ou de confirmer les interprétations existantes.

2) Recherches précédentes

Le kagura fait l’objet d’études dans différentes matières. À ma connaissance sept thèses y sont consacrées ainsi que de nombreuses publications scientifiques.

Il est possible de les regrouper en trois catégories :

a- Travaux ethnographiques japonais

L’ethnologie, minzokugaku 民俗学au Japon, traite le sujet des coutumes villageoises transmises par oral. Ce domaine s’est développé en marge de l’ethnologie occidentale. Il s’agit plutôt de japonologie et le résultat est plutôt ethnographie littéraire. Ce mouvement s’est développé au début du XXe siècle. Ses spécialistes appellent les divertissements rituels villageois minzoku geinô 民俗芸能 (folkloric arts). Le kagura en est une sous-division qui se caractérise par le lieu de représentation (le sanctuaire ou l’occasion shintoïste). Les fondateurs de cette matière sont Kunio Yanagita 柳田国男 (1875-1962) et Shinobu Orikuchi 折口信夫 (1887-1953). Le premier était fonctionnaire au Ministère de l’agriculture au début de sa carrière. Il a étudié la politique à la faculté de droit de l’Université Tokyo. Orikuchi est son disciple. Il est né dans une famille de religieux. Il a développé des analyses sur la relation entre l’origine du théâtre et le concept « marebito 稀人 (étranger de passage) ».

Masayoshi Nishitsunoi 西角井正慶 est un chercheur qui a travaillé dans la continuité des deux précédents sur le mikagura 御神楽 et le satokagura里神楽. Parmi les chercheurs d’ethnologie japonaise de première génération, Yasuji Honda est remarquable. Il est le premier titulaire d’un doctorat dont la thèse est consacrée au kagura. Il a proposé la classification des divertissements villageois selon leur période de représentation (cérémonies de différentes religions, cérémonie de rizière, etc.) et a ainsi établi cinq sous-divisions de kagura.

La deuxième génération de chercheurs (Hiromichi Kubota 久保田弘道, Satoru Hyôki 俵木悟, Sôhei Nagasawa 長澤壮平) a étudié après la seconde guerre mondiale. Tandis que les travaux de la première génération sur le phénomène culturel se limitent à l’auto-observation (ils s’immergent dans la culture et ils observent à l’intérieur de la communauté étudiée), la deuxième génération tente d’élargir leur point de vue. Le kagura est ainsi appréhendée sous plusieurs angles : sociologie, pédagogie, littérature etc...

Terence Lancashire est le premier doctorant à avoir étudié la musique du kagura dans sa thèse en 1997 à l’Université d’Osaka. Son terrain d’étude est la préfecture de Shimane où officie l’école Iwami kagura 岩見神楽. Il a analysé la transmission d’Iwami kagura et la comparaison de deux modes rythmiques.

Nous pouvons utiliser ces recherches comme bases de données. Elles apportent de précieuses informations collectées auprès de pratiquants et de spécialistes sur le terrain. Ces travaux sont cependant difficilement accessibles dès lors que très peu sont traduits dans une autre langue. Il existe quand même quelques travaux importants en langues étrangères y compris trois thèses écrites en anglais et en français.

b- Travaux sur le sujet en langues étrangères

Le premier chercheur à avoir présenté le kagura au monde occidental était Franz Boas. Il a publié un entretien avec Honda ci-dessus évoqué. La première thèse en anglais sur le kagura est achevée par Irit Averbuch en 1995 à l’Université Harvard. Prenant l’exemple d’une école appelé Hayachine kagura au nord du Japon, Averbuch a analysé la signification du rituel. Elle a abordé la transe ou la transe ritualisée dans la chorégraphie du kagura.

Catherine Delpuech est une sociologue française qui a également traité de la même école d’un autre point de vue. Sa thèse est soutenue en 2007 à l’Université Paris VII. C’est le seul travail consacré au kagura dans les pays francophones. En italien, Daniele Sestili a publié un ouvrage sur le kagura en 2000. L’année d’après, Bernard Lorta-Jacob a écrit un compte-rendu y relatif dans les cahiers d’éthnomusicologie. Ce sont des travaux effectués par des observateurs étrangers en langues étrangères. Ils nous proposent une autre approche du kagura.

Les travaux réalisés par des japonais en langue étrangère proposent d’autres prises de position. Ainsi, Akira Tamba est spécialiste du nô. Takuya Sakurai, docteur en philosophie, a écrit sa thèse en anglais en 2010 à l’Université d’Oklahoma. Il a d’abord dévoilé le type et le niveau demandé pour jouer le dieu dans le kagura ainsi que les modes multidimensionnels dans cette expression de dieu.

Après avoir observé la pratique rituelle, il est important de maîtriser le lexique culturel nécessaire à la décoder en fonction de la zone géographique étudiée. Les rituels d’origine chamanique existent partout dans le monde.

c- Travaux sur les musiques rituelles du monde

Il convient également de consulter des ouvrages dédiés au chamanisme, à la transe et possession, aux objets rituels notamment.

3- Méthodologie des recherches sur le terrain

a- Déroulement

Mes recherches sur le terrain suivront la méthodologie suivante :

1) Observation sur le terrain

- Assister aux cérémonies

- S’entretenir avec les participants : Religieux, fidèles, danseur, et musicien

- Enregistrement de la musique

2) Interprétation

- Consultation des sources documentaires

- Explication des phénomènes

3) Retour sur le terrain

- Vérification de l’interprétation donnée avec les participants et les spécialistes

b- Choix de pièces et de troupes

En raison de la diffusion très vague de la danse rituelle partout dans le territoire japonais, je limite mes recherches sur les quelques troupes qui vivent autour des deux montagnes au nord du Japon : huit troupes (le nombre pourrait changer) autour du mont Chôkaisan 鳥海山où se situe le village qui a le Sugisawa Hiyama 杉沢比山, et six troupes de l’école Hayachine Kagura 早池峰神楽 autour du mont Hayachinesan 早池峰山. Par ailleurs, dans une perspective comparative, je me propose d’étudier les troupes de Bicchû kagura à Okayama ainsi que la cérémonie Odaidai à Yamanashi, et les écoles de Hanamatsuri à Aichi.

En plus de l’enquête ethnographique qui nous donnera un aperçu de la danse, l’analyse musicale sur la structure de la pièce et l’échelle utilisée, nous montrerons soit la présence soit l’absence de l’influence entre les troupes. Il faut choisir une fonction rituelle pour que ma question de départ assez vague puisse être résolue. Là, je rencontre la difficulté que l’ancien style, la danse avec les accessoires rituels est de nos jours complètement fondu dans le style général du kagura. Il n’y a pas de pièce universelle pour plusieurs troupes dans les écoles différentes. Je propose de commencer mon analyse à partir de trois pièces rituelles qui sont plus faciles à identifier dans le répertoire : la danse des oiseaux (le titre de pièce change selon la troupe), okina 翁(la danse d’un personnage Okina blanc) et sanbasô 三番叟(la danse d’un personnage Okina noir). La première pièce est influencée par la danse de gagaku. Les deux dernières sont d’origine sarugaku 猿楽 adopté dans le répertoire kagura, notamment ceux qui sont au nord du Japon. La pièce d’Okina est ainsi le répertoire le plus important du nô 能, le théâtre médiéval japonais.

Sur le nombre de troupes qui possèdent ces répertoires car il n’y a pas d’enquête nationale sur le répertoire de toutes les troupes. (Nous ne connaissons pas le vrai nombre de troupes.) Pour cela, je limite mes travaux uniquement sur quatorze troupes autours de mont Chôkaisan 鳥海山 dans les départements de Yamagata 山形 et Akita 秋田, ainsi que les troupes autour du mont Hayachinesan au département Iwate 岩手.

Le site internet kagura map 神楽マップ de Bunkachô 文化庁(l’Agence des affaires culturelles), me permet de rechercher des troupes selon le mot clef ou selon la géographie. Comparant avec ma liste d’après un livre « Bangaku /Yamabushi Kagura番楽・山伏神楽 » de Honda Yasuji 本田安次, le premier ethnologue qui a effectué l’énorme travail sur cette danse, j’ai trouvé six troupes autour de mont Hayachine, et neuf troupes autour de mont Chôkaisan. Les écoles du kagura autour du mont Hayachine possèdent ces trois pièces. Pour les troupes autour de mont Chôkaisan, j’ai confirmé qu’uniquement une troupe a trois. Il faudra contacter les autres troupes pour confirmer.

Date de première inscription: 
Mardi, 26 novembre 2013
Date de soutenance: 
Vendredi, 10 janvier 2020
Jury ext: 
Yoshihiko TOKUMARU
Terence LANCASHIRE

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