vol. 11. Le pianoforte en France 1780-1820

Secrétaire de rédaction scientifique: 
Date de création: 
04/2009

Christophe Coin, Éric de Visscher, Florence Gétreau, éditorial

I. LE PIANOFORTE EN FRANCE 1780-1820

  • Manuel COUVREUR, Éléments de réflexion sur l’esthétique des Lumières et la naissance du pianoforte.
  • Jean-Claude BATTAULT, Les facteurs de pianoforte des provinces de France, 1760-1820.
  • Stewart POLLENS, Cristofori and Erard.
  • Thierry MANIGUET, Le piano en forme de clavecin Érard.
  • Christopher CLARKE, Erard and Broadwood in the Classical era : two schools of piano making.
  • David E. ROWLAND, Piano businesses in England and France.
  • Frédéric de LA GRANDVILLE, La coexistence du clavecin et du piano au Conservatoire de musique de Paris de 1796 à 1802.
  • Maria van EPENHUYSEN ROSE, Un clavecin piano et forte, d’une harmonie ronde et moëlleuse : Aesthetic features of the early French piano.
  • Tilman SKOWRONECK, Beethoven and the Orchestral Piano.
  • Jean-Pierre BARTOLI, Réflexion sur l’évolution de la fantaisie pour piano au début du XIXe siècle en France.
  • Hervé AUDÉON, Louis-Joseph-Ferdinand Herold (1791-1833) et le piano.
  • Jeanne ROUDET, La pédalisation dans les premières méthodes destinées au pianoforte : une spécificité française ?
  • II. BIOGRAPHIES DES AUTEURS, RÉSUMÉS, ABSTRACTS
  • Texte complémentaire disponible en ligne :
Résumés et abstracts: 

Manuel Couvreur, Éléments de réflexion sur l’esthétique des Lumières et la naissance du pianoforte.

L’apparition et le succès du pianoforte en France correspondent exactement à l’arrivée à maturité d’une nouvelle génération de penseurs et à l’émergence d’une nouvelle sensibilité. Vers 1750, Diderot ou Rousseau prônent une écoute musicale qui, partant du plaisir auditif, touche directement le cœur, sans devoir passer par l’esprit. La capacité du pianoforte à phraser, plus aisément que le clavecin, une mélodie explique sans doute son succès, à un moment où l’opéra-comique triomphe. D’autre part, son aptitude à assumer des contrastes dynamiques lui permettait de s’accorder à une esthétique nouvelle, en rupture avec l’ancienne mimésis, une esthétique du sublime qui privilégiait le pathétique comme le terrible. Enfin, le pianoforte répondait également à une évolution sociologique de l’écoute et de la pratique musicale qui s’ouvrit alors largement au public bourgeois : les recherches sur la puissance comme sur la diversité du coloris du pianoforte correspondent à un moment où les concerts se donnent devant des auditoires de plus en plus large ; dans le même temps, le piano adopte des formats réduits qui s’adaptent à la pratique individuelle ou en famille, en accord avec les valeurs d’une classe sociale en plein développement.

Michael Latcham, In the shadow of the enlightenment ; stringed keyboard instruments in Diderot’s Encyclopédie and its derivatives.

L’Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres (1751–1772), son Supplément (1776–1777), et les versions ultérieures de l’Encyclopédie comportent des entrées portant sur les instruments à clavier écrites par divers auteurs. Ces articles sont commentés ici à la fois pour mettre en lumière la perception que leurs auteurs ont eu de ces instruments et pour illustrer une histoire de l’Encyclopédie. La période couverte débute en 1753 avec la publication du volume III de l’édition originale de l’Encyclopédie qui comporte un article sur le clavecin, et se termine en 1818 avec la publication du second volume portant sur la Musique extrait de l’Encyclopédie méthodique, avec un article sur le piano. Durant cette période, le piano a progressivement gagné une position dominante tandis que le clavecin disparaît lentement, se maintenant seulement comme instrument de continuo pour la musique d’opéra ou ses équivalents. Il faut malheureusement constater qu’à l’exception de la première édition de Diderot (1751-1772) et du volume sur la musique de l’Encyclopédie méthodique (1791 and 1818), ces travaux encyclopédiques donnent une image brouillée et peu objective des instruments à clavier présents à Paris.

Jean-Claude Battault, Les facteurs de pianoforte des provinces de France, 1760-1820.

Si la facture parisienne de pianoforte de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècles a fait l’objet d’études assez approfondies, les travaux des facteurs actifs en province durant cette période restent peu connus. On oublie qu’au moment où les facteurs de clavecins parisiens importent des pianoforte étrangers pour satisfaire une demande encore timide, les premiers pianoforte construits en France semblent être ceux du strasbourgeois Jean-Henri Silbermann. En approfondissant le sujet, on s’aperçoit que cette facture de province est loin d’être anecdotique et présente une diversité que l’on ne soupçonne pas au premier abord. L’étude des quelques sources écrites et des pianoforte conservés, permet de recenser les facteurs et d’appréhender les influences anglaise et germanique qui ont modelé leur travail. Elle montre aussi l’implantation progressive du pianoforte en province. Si, entre 1760 et 1780, Strasbourg et Lyon concentrent toute l’activité de construction de pianoforte en province, on assiste à partir des années 1780 à une dissémination de la production hors de ces villes, principalement au nord de la Loire. Cela est dû en partie aux changements politiques, économiques, sociaux et culturels qui favorisent l’émergence de cet instrument « expressif » en France.

Stewart Pollens, Cristofori and Erard.

Avant l’invention de la mécanique à double mouvement par Érard en 1821, la mécanique de la plupart des pianos exigeait que le marteau retombe complètement avant d’être joué à nouveau. Ceci n’était pas un problème avec les premiers pianoforte en raison du faible enfoncement de leur clavier, mais lorsque celui-ci augmenta au début du XIXe siècle, la réponse en souffrit. La mécanique Érard à double mouvement fut essentiellement un développement de la Mécanique anglaise pour instruments à queue (English grand action), laquelle était elle-même une simplification de la mécanique de Bartolomeo Cristofori développée autour de 1700. Érard réintroduisit avec intelligence le levier intermédiaire de Cristofori en le maintenant par un ressort qui relance le marteau immédiatement après qu’il ait échappé, permettant au levier de ré-engager le marteau alors que la touche est encore partiellement enfoncée. La mécanique du piano à queue moderne est très proche de cette invention. Si l’on superpose le dessin du brevet Érard avec la gravure de la mécanique de Cristofori publiée en 1711, on peut noter la remarquable ressemblance entre la position et les dimensions des marteaux, leviers et autres parties. Ceci laisse supposer qu’Érard a même pu être influencé directement par le dessin précurseur de Cristofori.

Thierry Maniguet, Le piano en forme de clavecin Érard.

Alors que le goût pour le piano s’affirme dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la forme instrumentale la plus fréquente que l’on rencontre est celle du piano carré, notamment en France. L’instrument en « forme de clavecin », d’une plus grande puissance, est alors dédié au concert. La maison Érard reste étonnamment fidèle à cette appellation puisque celle-ci apparaît dans les registres de la firme dès le début des années 1790 et n’est abandonnée au profit du terme « piano à queue » qu’en 1839. L’analyse de la production de ce demi-siècle montre l’attention toute particulière que la maison Érard a portée à cet instrument : du premier modèle étroitement inspiré de la facture anglaise, en passant par le piano à mécanique à étrier, ce modèle deviendra l’archétype du piano romantique, célébré par les plus grands pianistes de l’époque. C’est pour cet instrument que seront développés non seulement la mécanique à double-échappement mais également le système d’agrafes ou la barre harmonique, tous procédés qui finiront par être adoptés par l’ensemble des facteurs de pianos.

Christopher Clarke, Erard and Broadwood in the Classical era : two schools of piano making.

Depuis longtemps, l’on a affirmé que les pianos français de l’époque classique ne furent que des copies de leurs homologues anglais. Cependant, quoi que fortement influencée par l’école anglaise, la facture due au génie inventif de Sébastien Érard, exprimée dans ses pianos à queue et ses pianos carrés, constituait une réponse idéale aux besoins des musiciens français de son époque. Leurs demandes portaient sur des mécaniques à la répétition rapide, alliées à une sonorité à la fois puissante et brillante ; Érard a répondu non seulement en inventant une série de mécaniques révolutionnaires qui culminait en ses chefs-d’œuvre, les mécaniques à double répétition de 1821 et de 1822, mais il a mis à plat, à plusieurs reprises, tout l’appareil sonore et structurel de ses pianos. Cet article explore son travail, et tente de fournir quelques indications sur ses sources d’inspiration, particulièrement dans le travail de Broadwood mais aussi dans celui de Stodart, Crang Hancock et Schoene, entre autres. Deux pianos à queue et deux pianos carrés provenant des ateliers Broadwood et Érard sont comparés.

David E. Rowland, Piano businesses in England and France.

Le développement des instruments de musique dépend de la demande des musiciens, des développements de la technologie, de la disponibilité des matériaux constitutifs, de l’interaction entre le marché et les échanges d’idées entre les facteurs. Cet article explore comment certains de ces paramètres ont influencé le développement du piano en France et l’établissement d’une industrie française durant la période 1780-1820. Il souligne en particulier les liens entre l’industrie du piano en Angleterre et en France et les caractéristiques comme le fonctionnement du commerce musical en général. Clementi y joue un rôle éminent, lui dont les intérêts commerciaux couvrirent non seulement l’Angleterre mais la France et le reste de l’Europe à une époque de troubles politiques et économiques. Les relations entre les firmes Pleyel et Érard et l’industrie anglaise de piano sont également évoquées sur certains points.

Florence Gétreau, Les images de pianistes en France, 1780-1820.

Parmi un corpus de documents iconographiques en constante évolution, une sélection est ici présentée selon diverses approches : aspects techniques mettant en évidence l’évolution du pianoforte, typologie et identification des modèles figurés, identité et sociologie des utilisateurs, contexte et tradition d’utilisation, position du corps, technique digitale et pédalisation, enfin dimension emblématique de l’instrument.

Frédéric de La Grandville, La coexistence du clavecin et du piano au Conservatoire de musique de Paris de 1796 à 1802.

Le Conservatoire de musique de Paris est fondé par la loi du 16 Thermidor an III (3 août 1795) sur un vote de la Convention. L’ouverture des portes aux élèves a lieu le 23 octobre 1796. On y annonce des classes et des maîtres de clavecin, mais quelques mois plus tard le mot « pianoforte », et peut-être l’objet, s’y substituent peu à peu. Cet article examine les conditions dans lesquelles ce transfert est opéré, et, dans la mesure du possible tente d’en comprendre les causes et les aboutissements. Malgré l’état très lacunaire des archives du Conservatoire pour l’époque révolutionnaire et le Consulat (série Arch. nat. AJ37) et l’aide d’autres séries administratives (Arch. nat. F16, F21, O3), on peut tenter une approche prudente de cette question. Oui, il existe une école française de piano entre 1780 et 1820, le Conservatoire de musique de Paris y a contribué dans une certaine mesure. Le passage du clavecin au pianoforte est l’un des éléments de cette contribution.

Maria Van Epenhuysen Rose, Un clavecin piano et forte, d’une harmonie ronde et moëlleuse : Aesthetic features of the early French piano.

L’idée reçue selon laquelle une préférence pour le clavecin perdura en France peut être réfutée ; cependant les débuts du pianoforte furent exposés en France à des influences particulières. L’insistance sur certaines qualités sonores et de timbre peuvent être trouvées dans la musique à la fin des années 80 : parmi elles, on notera des textures denses, un legato chevauchant pour parfaire l’Harmonie et l’expressivité vocale, aussi bien que les notes répétées pour créer un effet de son continu. La Sonate K 310 de Mozart, écrite à Paris en 1778, montre beaucoup de ces traits à la Française ; des influences similaires se trouvent dans des œuvres de Clementi, Steibelt et Dussek. L’insistance sur la technicité nécessaire au jeu commença vers 1790 et se poursuivit au Conservatoire, mais elle trouva une résistance parmi certains pianistes comme Madame de Montgeroult et Dussek dont le style pianistique expressif et lyrique posent les jalons du jeu romantique du piano.

Tilman Skowroneck, Beethoven and the Orchestral Piano.

L’idée communément admise selon laquelle Beethoven, entre 1800 et 1809, influença Nanette Streicher dans sa conception de la facture du piano, afin de créer un piano qui « sonne comme un orchestre » doit être reconsidérée pour plusieurs raisons. Cet article analyse les informations qui ont pu être conservées concernant le développement des modèles par la firme Streicher et offre un point de vue plus nuancé. Les éditeurs et marchands de pianos Breitkopf & Härtel ont joué un rôle important dans cette évolution, de même que leurs agents à Vienne, Griesinger et Andreas Steicher, époux de Nannette et correspondant de la firme. Les discussions de l’époque abordent aussi les modes de construction des pianos anglais et français. L’influence de Beethoven dans ce débat semble avoir été limitée. Cependant, lorsqu’en 1809 le « piano orchestral » de Streicher devint une réalité, il approuva ses qualités.

Jean-Pierre Bartoli, Réflexion sur l’évolution de la fantaisie pour piano au début du XIXe siècle en France.

Le présent article se propose d’étudier la présence du genre de la fantaisie libre pour clavier en France dans les premières décennies du XIXe siècle. Après avoir souligné les ambiguïtés terminologiques et l’inclination pour le terme « caprice » dans les éditions parisiennes, l’influence des propos de Rousseau, la focalisation sur la notion de l’improvisation notée, l’article propose une distinction entre deux types de fantaisies : la fantaisie-caprice (ou fantaisie-prélude) et le type fantaisie-sonate. Sont étudiées les partitions de Pfeffinger, Steibelt, Montgeroult, Boëly, Dussek, Ladurner, Hummel, Moscheles, Clementi et Kalkbrenner. L’accent est mis sur l’influence manifeste en France de l’opus 18 de Hummel.

Hervé Audéon, Louis-Joseph-Ferdinand Herold (1791-1833) et le piano.

Si Herold est aujourd’hui connu avant tout pour ses opéras, on ignore cependant qu’il fut aussi un jeune pianiste virtuose et qu’il composa, tout au long de sa vie, pour cet instrument. Son œuvre ne compte pas moins d’une soixantaine de numéros ou opus, pour la plupart publiés de son vivant, et embrasse principalement les genres du caprice, de la sonate et du concerto pour ce qui est du premier Empire puis, dans les années 1820, ceux de la fantaisie, de la variation ou du rondo. Après avoir situé la place du piano dans la vie et dans la carrière du musicien et détaillé plus particulièrement ses rapports avec la famille Érard, dont il fut proche et joua le rôle d’agent lors de son premier voyage en Italie (1812-1815), nous dressons un aperçu de l’œuvre composée pour l’instrument et de sa réception, avant de brosser quelques-unes des caractéristiques principales de l’écriture et du jeu pianistiques de Herold. Un dessin polychrome représentant Herold assis devant son « bon Erard », réalisé en 1813 en Italie et conservé sans une collection particulière, est ici reproduit pour la première fois. Les annexes consistent en un relevé des notes musicales prises par le compositeur dans les œuvres de Dussek, Steibelt et Beethoven, et en un catalogue sommaire de son œuvre pour piano.

Jeanne Roudet, La pédalisation dans les premières méthodes destinées au pianoforte : une spécificité française ?

C’est en 1797, avec la publication de la méthode de Milchmeyer, que débute le versant didactique de l’histoire de la pédalisation. Le timbre entre au nombre des paramètres de la composition au titre de l’expression dont il est porteur, et la focalisation sur le son qu’il manifeste s’enracine dans le débat esthétique contemporain. Cristallisant la quête de l’autonomie de la musique instrumentale, le goût français pour le pittoresque est l’un des laboratoires de la modernité pianistique de Steibelt à Liszt. À travers des images empruntées à la réalité extérieure, la pédalisation est pensée comme nouveau paramètre responsable de l’illusion du timbre au piano. Le discours didactique instaure un dialogue entre l’œuvre vulgarisatrice des pédagogues et la voix singulière des compositeurs. Cette contribution observe la difficulté qui s’exprime dans l’articulation du texte verbal et des exemples musicaux : enseigner comme un savoir-faire ce qui appartient à la part la plus immatérielle du style. La lecture de la pédalisation est centrale du problème soulevé. Par les images qu’ils convoquent, les pédagogues font apparaître l’imbrication des différents paramètres qui donne à observer comment la notation peut suggérer ce qu’elle ne peut dire.

Pierre Goy, L’utilisation des registres dans la musique française de pianoforte au début du XIXe siècle.

Cet article propose une mise en regard des informations transmises par les instruments (mécanique, registres) avec celles tirées des méthodes et textes musicaux de l’époque. La facture des instruments à claviers héritée du tympanon (épinettes à marteaux de bois dur), a influencé la manière d’utiliser le registre permettant de lever des étouffoirs. Les méthodes de Milchmeyer, Steibelt et Adam aident à mieux cerner la manière d’employer les registres ainsi que le contexte dans lequel ils furent utilisés pour découvrir qu’ils participèrent pleinement à l’expression de la musique.

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